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L’ange des remparts
guide la marche des poètes Un choreute : Nous
voici, petite troupe de poètes venus de partout,
assemblés, par la grâce
d’Ysabelle et de Mychèle. Aimantés
par l’incantation d’un mot :
Liberté, Nous
voici disposés à nous engager dans une marche
dont l’enjeu ne se mesure pas au
nombre de pas avancés sur ce chemin des hauteurs. De
cette plate-forme balayée par les vents, sous le ciel de
Bonifacio, nous
voulons faire une aire d’envol
de la
Poésie, la merveilleuse occasion d’un serment. (silence) Le
divin Ulysse comme surgi
de la nuée détache sa silhouette sur le
promontoire Autre choreute : Nous
voici transportés par magie en des temps très
anciens Ecoutons
le héros, rhapsode de sa
propre épopée tirer la leçon du
terrible épisode des Lestrygons. Ulysse : Notre
flotte s’engage dans la bouche de
Bonifacio. Nous sommes pris dans la nasse de la double falaise en
à-pic. Le
silence, à peine traversé par un
goéland, se referme sur l’imprudente
manœuvre.
Pas de houle en ce creux, pas de rides. Seuls frissonnent au sommet de
rares
arbrisseaux. Une légère fumée se fond
dans le bleu. L’endroit est désert.
Gaillards contre gaillards, nos vaisseaux s’amarrent
côte à côte. Les équipages
qui rêvaient d’une source, vont pouvoir
étancher leurs soifs.
Deux
marins, pied caprin, s’accrochent à la
paroi. Soudain,
une ombre immense les couvre. La
vigie crie. Trop
tard ! Les géants rameutés, du haut
des blanches falaises, blanches comme des tombeaux, nous accablent de
blocs de
roche. Equipages
mourants, vaisseaux fracassés, un
tumulte monte de la rade sous les clameurs de ces monstres, mangeurs
d’hommes
qui de la moitié de nos équipages
s’apprêtent à faire
dîner. Je
donne à nos rameurs l’ordre de forcer
d’avirons, si l’on a encore une chance de
s’en tirer. Redoublant d’effort, ils
font voler l’écume. Nous
voilà saufs ! Un poète du chœur des
marcheurs : Les
Lestrygons sont-ils la fable d’un poète
inspiré inscrivant dans une œuvre fondatrice la
métaphore de toutes les
oppressions ? Le chœur des marcheurs : Les
tyrans continuent leur sinistre office. Le
massacre des hommes se poursuit. Rien
ne sert de gratter le palimpseste. En
signes de sang, il déroule l’inlassable chronique
de la misère des hommes. Par-dessus
les querelles des dieux et toutes
les malédictions, le dernier mot restera-t-il au
poète ? (un silence) Bonifacio, citadelle sous le vent
Un poète bonifacien : Place
forte inexpugnable, Bonifacio a connu
deux sièges aussi mémorables que celui
d’Ilion chanté par le vieil
Homère. Secouons
la poussière qui recouvre le superbe
hymne du Bonifacien Paul Barboni. En
octosyllabes frappés comme des
médailles, il
dit le siège fameux
qu’Alphonse V, roi d’Aragon, décida, au
printemps de l’année 1420, pour réduire
l’arrogante citadelle : Quand le Magnanime eût conquis Avec Calvi la Corse entière …….. Lors de sa lame bien trempée Elevant la poignée en croix, Le Roi jura sur son épée De ne point quitter le harnois ; Son armet, son haubert de mailles Pour se couronner de fleurons, Qu’il n’eût
planté sur ces murailles L’étendard pourpre
d’Aragon. (prophétique) Les
rancunes de Clio s’apaisent aux accents de
Polymnie. Le
charme du poème fait d’un accident de
l’histoire, une fable universelle. Après
une terrible épidémie de peste, en 1528,
ce fut, 25 ans après- la politique faisant fi de la
religion- le siège
franco-turc, conduit par Dragut, l’ ancien corsaire turc, à la
tête de ses soixante galères et vingt-
deux galiotes ! Le chœur des marcheurs : Que
de sang versé, de stratagèmes ourdis, de
félonies, de serments brisés ! Toute
l’Histoire tissée de fils rouge- sang,
retentissante de bruits et de fureur !
De
ce chaos assourdissant s’élèvent
à
tire-d’aile les colombes du chant des poètes. Un poète : Entends
venir la menace de la Guardia civil
sur la ville des gitans ! C’est
la voix intemporelle de Federico Garcia
Lorca : Los
caballos negros son Las
herraduras son negras Sobre
las capas relucen Manchas
de tinta e de cera. Tienen,
por eso no lloran, De plomo las calaveras. Ils
ont de noires montures Avec
de noires ferrures Et
sur leurs capes reluisent Des
taches d’encre et de cire. Ils
ne pleurent car sans doute De
plomb leur crâne est garni. Un autre poète : Arrêtez
vos pas, frères marcheurs ! Ecoutez
la voix du métis Nicolàs
Guillèn apostrophant sur un rythme cubain la
mer des Antilles, gorgée de sang, Oh
mar,oh mar de sangre desbordado ! Que vienne pour les anciens esclaves antillais, la
vie nouvelle, la libre
marche sans corde ni chaînes, sin
dogal y sin cadena Cuellos
puros en suelta munchedumbre Le
ciel s’ébroue en rafales de vent Protégeons
de la paume la petite flamme
Espérance ! Un autre poète : Pablo
Neruda, immense comme le Macchu Picchu,
la rage au cœur, stigmatise en paroles et grondements de
volcan, les Conquistadores
rouges du sang des peuples massacrés: Aquì
la cruz, aquì el rosario, Aquì
la Virgen del garrrote La
alhaja de Colon, Cuba fosfòrica, Recibiò
el estandarte y las rodillas en
su arena mojada. Un poète corse : Nous
ne voulons plus entendre péans ni
thrènes, ni ces chants de vengeance qui ont fait de notre
terre une terre de
sang ! In
fondu di lu rione Si
sentia rughja lu ventu Chi
purtava da Ghisoni La
disgrazia è lu spaventu Si
vidia chi per aria V’era
occidiu è tradimentu ! Sonu
subitu partiti Tutti
i lupi cu l’agneddi E
marchjavanu aduniti A
lu son’di cialambeddi. Quandu
ghjunsenu a la serra Ti
taglionu i garganeddi ! Le chœur des marcheurs : Nous
marchons, ceux qui croient au ciel
et ceux qui n’y croient pas, unis dans le
même corps, la même oraison.
Nous marchons sur un chemin de partage, à la rencontre de
tous les déshérités,
les opprimés, les persécutés de la
terre. Nous nous réclamons
de la même mère. Cette
Poésie qui n’est point « art
d’embaumeur ou de décorateur. Elle
n’élève point des perles de culture, ne
trafique point de simulacres ou d’emblèmes
…Et d’aucune fête musicale
elle ne saurait se contenter. Elle s’allie,
dans ses voies, la beauté, suprême
alliance, mais n’en fait point sa fin ni sa seule
pâture. Se refusant à
dissocier l’art de la vie, ni de l’amour la
connaissance, elle est action, L’amour
est son foyer, l’insoumission sa loi et son lieu est partout,
dans l’anticipation
». (Saint-John Perse- Discours
Prix
Nobel) Oui,
nos chants sont témoignage, au-delà de
toute colère, d’amour. Si nos genoux devaient
fléchir de fatigue, notre marche
n’en sera point entravée, chacun la
poursuivant au-dedans de soi. À
ceux qui voudraient nous empêcher de
chanter, à leurs aboiements, nous opposerons
le silence hauturier de l’humble
aède à qui le bourreau
a arraché la langue ! Les
soleils ont séché le sang des murailles,
les vents emportent les
cris des vaincus
et des vainqueurs. Nous
voici encore sur ce promontoire où
battent les ailes des anges, parmi les arbousiers,
oliviers nains, lentisques et genévriers. Nous
ne
voulons plus entendre les chants de la
vengeance ! Elevons,
par- dessus les tombes, notre prière
fortifiée d’iode et de sel marin. Que
la corne
qui, de vallée en vallée,
appelait nos ancêtres au combat, se
métamorphose en colombe ! Les
vents se sont tus. Ecoutons vibrer
l’archipel des îles dans le silence! Et
mettons- nous en rond pour accueillir la
voix incisive de la flûte du chevrier ! Sa
gaieté lointaine vient de derrière la
montagne, peut-être de plus loin encore, du shofarot,
trompe des Hébreux
au son diamantin qui fit s’écrouler les murailles
de Jéricho. Nous
marchons, aujourd’hui, les mains nues,
armés de nos seuls chants, vers ces fantômes
d’anthropophages, ces soldats
assiégeants et assiégés se faisant une
guerre sans merci. Ecoutons,
à travers les siècles, amoncelés
comme étoiles mortes, le piétinement sourd de
ces foules, qui, capes
lacérées, bras en croix, vont à Rome
et à Jérusalem. Il
y a ceux qui, genoux
en sang, pénates sommaires sur le dos,
pérégrinent sur le chemin de Saint Jacques.
Fourbus, ils quémandent un visa
pour l’éternité. La
lumière de l’aube, au terme du voyage,
souffle les feux de campements de la dernière nuit. Le champ
des étoiles
s’éteint. Il
y aussi ceux qui accompagnent au désert
du Sinaï
le peuple de la Bible
et lisent
dans les astres le nom du Seigneur. Ils
marchent
et, par-delà le temps, leurs chemins se
croisent, rivières nourrissant
le grand fleuve du désir
d’éternité ! Les
corps
se couvrent de croûtes. La
guenille reconquiert l’âme. Le
pèlerin dans sa sueur fait peau neuve. Un
chemin s’est ouvert à
l’intérieur de soi. Une
voix nouvelle sourd comme une source. Pourtant
comment oublier les voix étouffées,
celle de Marianne Cohn, fusillée le 8 juillet 1944
à l’âge de 24 ans ? Je
trahirai demain, pas aujourd’hui Aujourd’hui,
arrachez-moi les ongles, Je
ne trahirai pas Il me
faut la nuit pour me résoudre Il
ne me faut pas moins d’une nuit Pour
renier, pour abjurer, pour trahir. Pour
renier mes amis, Pour
trahir la vie, Pour
mourir. Je
trahirai demain, pas aujourd’hui. La
lime est sous le carreau, La
lime n’est pas pour le barreau La
lime n’est pas pour le bourreau. La
lime est pour mon poignet. Aujourd’hui,
je n’ai rien à dire Je
trahirai demain. Comment
refouler les voix fusillées des poètes
de la Commune jetés à la fosse de
l’oubli ? Jean-Baptiste
Clément, Gaston Crémieux, Clovis
Hugues, Louise Michel, Jules Vallès. Les
Versaillais ont brûlé les Evangiles rouges
et noirs de la Révolution. Comment
oublier ? Renonçant
à la vaine gloire du poète
couronné, nous
prendrons, s’il y a lieu,
la place des
fusillés au
carré des suppliciés anonymes. Au
fond de nos mémoires, s’élevant
au-dessus
des fumiers et des marais de toute abjection, ont retenti les voix des
poètes,
Honneur des hommes ! Nous
n’avons plus de haine. L’ange
des remparts ne nous lâche pas Avec
Aimé Césaire, entonnons
les chants du Cahier d’un retour
au pays
natal : Alleluia Kyrie
Eleison… leison…leison Christe
Eleison… leison…leison ! (Marie-Jean
Vinciguerra, 28 Septembre 2013) |
JUNTOS Hombres y mujeres fuertes y tranquilos, a quienes la noche premia con el sueño. Hombres y mujeres con brío en las venas, pureza en las mentes y luz en los ojos. Nobles corazones a los que seguir por las avenidas del humo y la gloria; con los que cantar por las amarillas baldosas del mito, camino de Oz; con los que viajar por la realidad, mucho más fantástica que la fantasía; con los que luchar por las sendas de oro teñidas de sangre de la patria eterna; con los que morir dando un paso al frente, sin mirar atrás, sabiendo que el mundo gira siempre en vano, sin saber qué hacer con tanta amargura, tanta soledad. LUIS ALBERTO DE CUENCA (del libro El reino blanco) |
ENSEMBLE Des hommes et aussi des femmes forts, tranquilles, que la nuit récompense en les faisant rêver. Des hommes et aussi des femmes au sang digne, pureté dans l’esprit, lumière dans les yeux. Des nobles coeurs qu’on suit volontiers tout au long des flux de la fumée et de la renommée; complices de chansons sur les carreaux jaunis du mythe qui tout droit fait son chemin vers Oz; compagnons de voyage au fin fonds du réel plus fantastique encor que toute fantaisie; camarades de lutte ouvrant des sentiers d’or empreignés dans le sang de l’éternell’ patrie; et copains qui, toujours un pas en avant, meurent sans point se retourner, sachant bien que le monde tourne toujours en vain, mais sans savoir quoi faire d’une telle amertume et telle solitude. LUIS ALBERTO DE CUENCA (du recueil Le royaume blanc) |
La mesure,
l’infini A Juan Frutos Voilà que tu traces le signe de la mesure toujours supérieure à celle que nous calculons d’avance, de la vie à la mort, variable le don qu’aucune promesse ne peut tenir. Le temps brûle, et l’homme qui entre ou sort dévoré par deux langues de feu déborde. Voilà que tu dessines le nombre sans nombre, l’infini toi et moi ne savons lui donner un nom. Nous naissons en France, au Mexique ou en Chine, ici ou ailleurs le visage, la cendre, même destin sans bornes, chaque âme est en liberté, chaque corps mendie sa place. L’enfant est d’abord un dieu, du soleil son regard capte ce qui nous aveugle, et voyant il nous tire à la lumière, nous croyons que c’est pour toujours. Voilà que tu joues au rassembleur d’atomes, qui d’entre nous n’a pas essayé de trouver l’étincelle, n’a pas voulu arpenter l’inconnu, à commencer par le territoire natal quitté dès la première minute ? Rare l’espace, noir le temps, dans l’asphyxie peut-être ne cherchons-nous que la respiration. De jour en jour derrière la mort et devant, le souffle est la mesure de notre grandeur. Mille cinq cents kilomètres multipliés par quatre ou cinq ne sont rien, l’Orient, l’Occident, les Alpes, les hauts plateaux de Mexico ou de l’Himalaya que tu relies au fil de la traversée sont trop proches. Remonter les mers, s’envoler, descendre au creuset de la terre, gagner l’île ne suffisent pas pour le lointain. [Voilà que je comprends la mesure supérieure, le corps glorieux son étoile est l’infini. Nous ne savons pas soigner le fini et ses veines font hématomes. Sur la peau de l’histoire les guerres s’allument l’une après l’autre saut de puces Afghanistan, Irak, Lybie, Syrie, Egypte, pas de géants, le mal prend le masque du bien Les états sont unis dans le désordre de la force. Nos cervelles bayent aux milliers de corneilles, en terrorisme cacophonique la planète frissonne. Les extrémistes pendent le fascisme au bout des mots et des actes l’Europe rougit à peine mais voyelles et consonnes ont déjà dressé les potences. Voilà qu’avec toi j’é-crierai l’indécence des affaires publiques et privées où les consciences avec les pays sont violés. La vie est longue, et le nombre - humains en attente - infini. Les lignes se perdent sur ton collage journalistique, assassins et victimes habitent la mémoire du lieu à Buenos-Aires, l’école mécanique de l’armée dont tout s’apprend : crime, rafles, tortures, détention, le serpico enlevait aux enfants parents et poupées. Les hommes sont vieux de barbarie ils n’aiment pas les mains des femmes mais les coups de pied des fanatiques, les idées sales et les danses réactionnaires ils mènent le bal des intégrismes et des convertis au libre-échange, au vitriol et à la haine. De guerres saintes en soi-disant libérations, l’homme distribue les plaisirs et, saison après saison, les radicalise. Voilà que je cherche porte et fenêtres l’enfant là-bas, l’enfant là, les violons tsiganes, un vers de Lao-tse, la bougie n’est pas faite de vide elle n’est que flamme, la voix qui parle au fond de nous n’oublie pas. Voilà que tu te demandes où est ta place, dans le désordre du paysage tu te cognes à la douleur, sa mesure est toujours supérieure, douleur soumise à la douleur, encore l’amour et la mort qui l’éclabousse. Les rêves prennent l’eau, les mères pleurent en se penchant sur le livre des sagesses. La croissance ne porte pas bonheur - richesse monétaire, sexuelle, technique, ses chiffres nous éblouissent à mort. Cent millions d’oiseaux assommés par la fée électricité et pas moins de papillons qui disparaissent, notre espèce est noctambule. Piège, le monde en expansion, nos villes perdent la tête dans l’orage, nos paroles sont des volcans éteints.] Voilà que nous remontons la pendule des âges et des incarnations, l’aiguille ne s’arrête pas toujours à l’heure. Du Nord au Sud, selon la couverture du temps l’ombre gagne à une vitesse qui surpasse celle de la lumière. Voilà que nous plaçons nos corps en silence - les vautours guettent - pour implorer la beauté ou la délivrance. Les vivants sont capables de contaminer la terre, l’eau, l’air et le feu quand ils pensent vivre pour rien ou pour quelque chose, comment assouvir leur désir, comment apaiser la mort ? Les dieux tournent, et les rites, l’être assure seul les sacrifices. Arbre écorcé, cou plumé, gorge tranchée, le tribut à payer est variable mais toujours plus insensé qu’on ne pourrait l’imaginer. Voilà que tu cherches les mots qui manquent où va l’âme quand le corps s’en va ? où est l’âme de l’enfant ? Voilà qu’avec toi je prends la mesure de la quête encore et toujours supérieure, l’infini. (Sylvie Fabre) lu par Angélé Paoli et Ysabelle Lacamp |
Lieu païen Toujours ton ami d’Orient revient à l’automne Son turban répand sur toi sa verdure avant qu’il ne reparte par le chemin des pierres et des pluies légères Les gens ne savent pas comment est venu l’étranger ils ont inventé pour lui une stèle et des cérémonies avec bannières le figuier fait une ombre sur son puits on parle des tempêtes soumises au pouvoir de ses mains jusqu’à l’extrême sud Qui es-tu en ton exil Qui t’a mis visage face au portail de la mer pour examiner le silence Une mer te conduit en rêve où tu te vois spectre de mes voix anciennes Une fois je suis venu au-devant des vaisseaux portant mon soleil et j’ai le lustre des soupçons Qui es-tu mon arc ta détente galope sur une dune vêtue de mon chant Visage et eau se font face une seconde dans la mort puis le désir les unit (Mohammed Bennis, Lieu païen, L’Amourier, Collection Poésie, 2013, pp. 28-29. Traduction de l’arabe par Bernard Noël en collaboration avec l’auteur, lu par Yves Thomas) |
Poèmes de
Francescu Ferrara, tirés de
« A Fanga
è L’Oru »,
« La Fange
et l’Or »
Traduction
française de Marie-Michelle Léandri,
éditions le Bord de L’eau
Oliu
è morca
Terra persa Trà nivuli è sirenu ùn voli senta i pienti, I lagni di a to ghjenti À l’orlu di u dismenu Terra persa… Ti aviani numata a più bedda di tutti È po’ si sò canzati Tanti si sò firmati È li piacia tandu ad’ accodda i to frutti Parechji lingui quì ani porsu u so fiatu Spezii di u livanti cun l’aspru di li canti Lachendu gusti dolci à l’amaru mischjatu U to senzu di l’altru ti hà mantinuta arritta Contru à li praputenza Ai fattu viulenza Ci n’hè statu millai à lacacci a vita Omini mintuati quiddi d’i più rintesi T’ani ancu cittata È sempri rispittata Di pettu à li putenti, piddendu i to pratesi Oghji ùn si sà più ciò chì tu raprisenti Se locu à visità Senza troppu circà Ci ferma l’illusioni d’issu stranu prisenti Cambiati sò i staghjoni ùn sò quiddi di prima Hè ora di bughjura È di gnurenza scura l’oliu hà presu fondu, lachendu a morca in cima (Cecce Ferrara) |
L’huile
et le lut Terre perdue Ballottée entre tempête et accalmie Tu ne veux plus entendre Les plaintes de ton peuple À l’orée du gouffre Terre en déshérence Ils t’avaient surnommée Kallisté Certains t’ont juste effleurée D’autres se sont enracinés Se nourrissant de ta fertilité Que de langues ici ont porté leur esprit Épices d’orient Unies à l’âpreté des chants Mêlant l’or de ton miel aux embruns de la mer Ton respect de l’autre t’a préservée du temps Tu as toujours lutté Contre les tout puissants Des milliers de tes fils y ont versé leur sang Les plus grands philosophes T’ont citée en exemple Face à tes oppresseurs Ils ont pris ton parti On oublie aujourd’hui ce que tu fus jadis On vient te visiter Sans chercher à comprendre Ce siècle virtuel nous remplit d’illusion Les saisons ont changé En cette sombre époque L’ignorance gouverne L’huile a gagné le fond et lut la surface |
À pighjò Un si vedi chè freccia in li visi è li passi A spiccera si campa senza vulè firmassi U soldu avia un tempu di paura è fracassi Par tanti a runchera hè cantu prifiritu E basta a suvitalli par essa rivaritu Cambià di miludia saria un dilitu Semu à pighjò Nantu à sta tarra Ma quali a sà ? Una prighjò Cinta di farra Volini fà… Ma u mondu firmarà à quiddu chì l’hà fattu È u calciu vultarà à quiddu chì l’hà datu Cunnoscia di li media tutti l’infurmazioni Par pudè imprudalli in a cunvertazioni Essa ricunnisciutu à mezu à i « sapiintoni » Vestasi com’è tutti, pinsà d’una manera Ch’ùn dispiaci à nisunu, ni semu à « Sicut Era’ » Aspittendu u so tornu com’u porcu à a tumbera Un parlà più di sè, di ciò chì ci cummovi O chì ci faci pienghja, ma di sughjetti novi Di a moda chì corri, d’un artistu li provi Cultura pocu è micca, umanità listessa Pratinzioni è urgogliu, imbuffassi par essa U sameri ùn pò stà senza la so cavezza Semu à pighjò Nantu à sta tarra Ma tu a sà D’issa prighjò Taddemu i farra Par sunnià… E u mondu firmarà à quiddu chì l’hà fattu L’amori fiurisciarà par quiddu chì l’hà spartu (Cecce Ferrara) |
Locataires Il n’y a qu’avidité dans les visages et les vies Dans ce train d’enfer fonçant avec frénésie L’argent règne présageant un temps de folie Pour beaucoup le braiement est seule litanie Et pour être estimé de les suivre il suffit Changer de mélodie est alors un délit Nous sommes locataires Sur cette terre Mais qui le sait ? Une prison bardée de fer Ils nous ont fait Le monde reviendra à qui l’a créé Et l’offenseur deviendra un jour l’offensé Des médias il faudrait suivre l’information En émailler le cours de la conversation Et n’avoir que le « net » pour toute érudition Il faut être tendance, penser comme tout le monde Ce n’est que le début d’un nivelage immonde Attendant notre tour pour aller vers la tombe Ne plus parler de soi et de ce qui nous touche Qui nous émeut aux larmes, mais de frivolités De la mode qui court, des frasques d’un artiste Avoir peu de culture et peu d’humanité Beaucoup de prétention, d’égo, de vanité Je possède donc je suis voilà leur vérité Nous sommes locataires Sur cette terre Et tu le sais Brisons les fers De cette prison Pour rêver Le monde restera à celui qui l’a créé L’amour fleurira pour celui qui l’a semé |
Oil and
dregs Land lost Between clouds and fair weather You don’t want to hear Your people wail and moan On the verge of blackout Lost land... They had named you Kalliste, the Most Beautiful Some stopped So many stayed And they enjoyed picking your fruit So many languages have shed their spirit here Spices from the East Hoarse songs Leaving a bittersweet taste Your welcoming heart has kept you upright Against arrogant empires You fought back And thousands lost their lives Men of great fame Have acknowledged you And respected you Taking your side against the mighty Today you’ve lost the sense of who you are You’re just a must-see A place to be And we are left with the illusions of this strange present Your seasons have changed they are not as they were These are times of darkness And sheer ignorance The oil has fallen and the dregs are rising. (Cecce Ferrara) |
Poème ALANU
Tu cries du bout du monde comme s’il y avait des bouts de monde Tu crois que ta voix porte depuis les quelques centimètres carrés de toundra méditerranéenne entre deux coussins d’épines où tu te tiens Tu cries Tu comptes sur le vent comme si on pouvait compter sur le vent Tu vois l’horizon et tu te crois loin Seules quelques brumes chaudes suffisent parfois à l’osmose des lignes par le silence en écho Tu ne vois aucun mur comme si les murs n’existaient pas Tu mises sur le mirage des continents à portée de voix Comme si parce que l’île il y avait des continents Dans la lumière oblique de la belle saison du soir un peu plus tôt la seule qui t’éclaire sans te brûler un vol de ramiers te rassure (Alain di Meglio) |
Qui s’oppose à L’Angkar est un cadavre Paul de Brancion ANGKAR J’espère ne jamais savoir d’expérience ne jamais vivre cela ni mes enfants ni mes semblables jamais je demande pardon à ceux qui liront ce titre et qui ont eu à souffrir des Kmers rouges « L’Angkar ne dit rien, ne parle pas » mais elle a des yeux et des oreilles partout » « qui proteste est un ennemi qui s’oppose est un cadavre » regretté le toucher de ton corps. Etre comme un mécanisme d’automutilation l’alternative demeure entre la mort ou la trahison immense solitude peur incontrôlée Délibérez du mal de l’angoisse survenue en tapinois le monde s’amenuise, enserre grotesque parodie de la vérité être l’otage de rien de connu sans jamais comprendre Il fait noir à côté sans relâche Différences de vert dans l’immensité des rizières le riz pousse vite on ne le repique plus on sème à la volée dans les champs élargis Le blanc se mêle au vert l’eau noire du puits semble saumâtre n’a pas la fraîcheur espérée Nuit de fumées de feuilles de palmiers au tronc lisse pour quelque fruit vert aux couleurs de dragon de légers nuages déversent des trombes d’eau sur une terre rouge gorgée d’immondices Cette folie naïve a débouché sur l’appel à la délation qu’y a-t-il de plus flou que le langage Le coq chante dès avant l’aube les moines de la pagode psalmodient un bruit de moto de chiens matin frais laiteux les grillons se taisent enfin. Tu ne dois pas considérer que ton corps t’appartient ni même qu’il est soumis à ton esprit tu dépends uniquement de celui qui a décidé et son jeu seul importe. (Paul de Brancion) |
Ein
Gedicht Hier
steht
ein Gedicht ohne einen Helden. Gedicht
hier
sehen. Keine Gefühle sind oder
über
eine Mauer in diesem Gedicht zu klettern. ist
in dem
Gedicht hier. Kein Mensch kommt Versprechungen.
In dem Gedicht stirbt auch keiner. in
dem
Gedicht ist es ganz still. Niemand steht
einfach nur hier. Es enthält keine Schlüssel keiner
macht
hier in diesem Gedicht jemanden für
dich.
Das .Gedicht hier geht nicht, liegt nicht, in
dem
Gedicht hier, der die Miete erhöht. Es gibt kein
Meer.
Du kannst in dem Gedicht hier nicht kennt
keine
Angst. Das Gedicht hier zittert das
du hier
liest, hat keine Titten und keine Fotze, das
Gedicht
ist kein Zitat, für keinen. Hier in In
diesem
Gedicht lutscht niemand zärtlich an Hier
in dem
Gedicht kannst du nicht küssen. Verneinungen
in diesem Gedicht werden immer mehr. Das
Gedicht
trägt keine Uhr. Das Gedicht ist nicht in
dem
Gedicht hier nach Zigaretten. Hier das Füße.
In die
Schule zu gehen, ist hier in dem Gedicht dich
nicht
hinsetzen und denken. Das Gedicht hier identifizieren.
Keine Polizisten fahren in diesem gedankenvoll.
In dem Gedicht erscheint auch kein fehlt
in dem
Gedicht hier. Es ist nicht Montag, |
Un poème Ceci est un poème sans héros. dans ce poème. Aucun sentiment
non plus ou de franchir un mur dans ce
poème. ne jaillit de ce poème. Personne
ne personne. Dans ce poème, personne
ne meurt aussi. tout est silence. Personne ne se
plaint n’est simplement écrit
qu’ici.
Ici, dans ce poème, personne n'imite personne dans ce
poème. Ce poème ne marche pas, ne se
repose pas, pour augmenter ton loyer.
Il n’y a pas même de mer. Tu ne peux nager ne connaît pas la peur. Ce poème ne
tremble pas. Pas de nichons ni de chatte. Dans ce
poème, Ce poème ne servira de citation
à
personne. Ici Dans ce poème, personne ne suce Ici dans ce poème, personne ne
s’embrasse. Il y a de plus en plus de NON
dans ce poème. Ce poème ne porte pas de montre.
Ce poème n’est pas réclame de clopes. Ce poème
ne
laisse on ne se lave pas les pieds. Il
n’est pas nécessaire pas pour méditer. Ce poème à ce poème. Dans ce
poème, pas de
flic plein de réflexion. Dans ce
poème, pas non plus aucun jeudi dans ce poème. On
n’est pas lundi, |