La Marche des Écrivains 2013
Samedi le 28. Septembre, Bonifacio, Corse

L'Affiche Racines du Ciel


Debut de la Marche 14:30







Alain di Meglio

Mychele Lecca, Racines de Ciel

Mychele Lecca

Ysabelle Lacamp



Marie-Jean Vinciguerra Ysabelle Lacamp

Marie-Jean Vinciguerra

L’ange des remparts guide la marche des poètes  

Un choreute :

 Nous voici, petite troupe de poètes venus de partout, assemblés, par la grâce d’Ysabelle et de Mychèle.

 Aimantés par l’incantation d’un mot : Liberté,

 Nous voici disposés à nous engager dans une marche dont l’enjeu ne se mesure pas au nombre de pas avancés sur ce chemin des hauteurs.

 De cette plate-forme balayée par les vents, sous le ciel de Bonifacio, nous voulons faire une aire  d’envol de la Poésie, la merveilleuse occasion d’un serment.

(silence) 

 Le divin Ulysse comme surgi de la nuée  détache sa silhouette sur le promontoire

Autre choreute :

 Nous voici transportés par magie en des temps très anciens

 Ecoutons le héros, rhapsode de sa propre épopée tirer la leçon du terrible épisode des Lestrygons.

Ulysse :

 Notre flotte s’engage dans la bouche de Bonifacio. Nous sommes pris dans la nasse de la double falaise en à-pic. Le silence, à peine traversé par un goéland, se referme sur l’imprudente manœuvre. Pas de houle en ce creux, pas de rides. Seuls frissonnent au sommet de rares arbrisseaux. Une légère fumée se fond dans le bleu. L’endroit est désert. Gaillards contre gaillards, nos vaisseaux s’amarrent côte à côte. Les équipages qui rêvaient d’une source, vont pouvoir étancher leurs  soifs.

 Deux marins, pied caprin, s’accrochent à la paroi.

 Soudain, une ombre immense les couvre.

 La vigie crie.

 Trop tard ! Les géants rameutés, du haut des blanches falaises, blanches comme des tombeaux, nous accablent de blocs de roche.

 Equipages mourants, vaisseaux fracassés, un tumulte monte de la rade sous les clameurs de ces monstres, mangeurs d’hommes qui de la moitié de nos équipages s’apprêtent à faire  dîner.

 Je donne à nos rameurs l’ordre de forcer d’avirons, si l’on a encore une chance de s’en tirer. Redoublant d’effort, ils font voler l’écume.

 Nous voilà saufs !

Un poète du chœur des marcheurs :

 Les Lestrygons sont-ils la fable d’un poète inspiré inscrivant dans une œuvre fondatrice la métaphore de toutes les oppressions ?

Le chœur des marcheurs :

 Les tyrans continuent leur sinistre office. Le massacre des hommes se poursuit.

 Rien ne sert de gratter le palimpseste. En signes de sang, il déroule l’inlassable chronique de la misère des hommes.

 Par-dessus les querelles des dieux et toutes les malédictions, le dernier mot restera-t-il au poète ?

(un silence)

Bonifacio, citadelle sous le vent 

Un poète bonifacien :

 Place forte inexpugnable, Bonifacio a connu deux sièges aussi mémorables que celui  d’Ilion chanté par le vieil Homère.

 Secouons la poussière qui recouvre le superbe hymne du Bonifacien Paul Barboni.

 En octosyllabes frappés comme des médailles,  il dit le siège fameux qu’Alphonse V, roi d’Aragon, décida, au printemps de l’année 1420, pour réduire l’arrogante citadelle :

 

Quand le Magnanime eût conquis

Avec Calvi la Corse entière

……..

Lors de sa lame bien trempée

Elevant la poignée en croix,

Le Roi jura sur son épée

De ne point quitter le harnois ;

 

Son armet, son haubert de mailles

Pour se couronner de fleurons,

Qu’il n’eût planté sur ces murailles

L’étendard pourpre d’Aragon.

 

(prophétique)

 Les rancunes de Clio s’apaisent aux accents de Polymnie.

 Le charme du poème fait d’un accident de l’histoire, une fable universelle.

 

 Après une terrible épidémie de peste, en 1528, ce fut, 25 ans après- la politique faisant fi de la religion- le siège franco-turc, conduit par Dragut, l’ ancien corsaire turc,  à la tête de ses soixante galères et vingt- deux galiotes !

Le chœur des marcheurs :

 Que de sang versé, de stratagèmes ourdis, de félonies, de serments brisés !

 Toute l’Histoire tissée de fils rouge- sang, retentissante de bruits et de fureur ! 

 De ce chaos assourdissant s’élèvent à tire-d’aile les colombes du chant des poètes.

Un poète :

 Entends venir la menace de la Guardia civil sur la ville des gitans !

 C’est la voix intemporelle de Federico Garcia Lorca :

 

 Los caballos negros son

 Las herraduras son negras

 Sobre las capas relucen

 Manchas de tinta e de cera.

 Tienen, por eso no lloran,

 De plomo las calaveras.

 

 Ils ont de noires montures

 Avec de noires ferrures

 Et sur leurs capes reluisent

 Des taches d’encre et de cire.

 Ils ne pleurent car sans doute

 De plomb leur crâne est garni.

Un autre poète :

 Arrêtez vos pas, frères marcheurs !

 Ecoutez  la voix du métis Nicolàs Guillèn apostrophant sur un rythme cubain la mer des Antilles, gorgée de sang,

 

 Oh mar,oh mar de sangre desbordado !

 

 Que vienne pour les anciens esclaves antillais, la vie nouvelle, la libre marche sans corde ni chaînes,

 sin dogal y sin cadena

 Cuellos puros en suelta munchedumbre

 

 Le ciel s’ébroue en rafales de vent

 Protégeons de la paume la petite flamme Espérance !

Un autre poète :

 Pablo Neruda, immense comme le Macchu Picchu, la rage au cœur, stigmatise en paroles et grondements de volcan, les Conquistadores rouges du sang des peuples massacrés:

 

 Aquì la cruz, aquì el rosario,

 Aquì la Virgen del garrrote

 La alhaja de Colon, Cuba fosfòrica,

 Recibiò el estandarte y las rodillas

 en su arena mojada.

Un poète corse :

 Nous ne voulons plus entendre péans ni thrènes, ni ces chants de vengeance qui ont fait de notre terre une terre de sang !

 

 In fondu di lu rione

 Si sentia rughja lu ventu

 Chi purtava da Ghisoni

 La disgrazia è lu spaventu

 Si vidia chi per aria

 V’era occidiu è tradimentu !

 

 Sonu subitu partiti

 Tutti i lupi cu l’agneddi

 E marchjavanu aduniti

 A lu son’di cialambeddi.

 Quandu ghjunsenu a la serra

 Ti taglionu i garganeddi !

Le chœur des marcheurs :

 Nous marchons, ceux qui croient au ciel  et ceux qui n’y croient pas,  unis dans le même corps, la même oraison. Nous marchons sur un chemin de partage, à la rencontre de tous les déshérités, les opprimés, les persécutés de la terre. Nous nous  réclamons  de la même mère. Cette Poésie qui n’est point « art d’embaumeur ou de décorateur. Elle n’élève point des perles de culture, ne trafique point de simulacres ou d’emblèmesEt d’aucune fête musicale elle ne saurait se contenter. Elle s’allie, dans ses voies, la beauté, suprême alliance, mais n’en fait point sa fin ni sa seule pâture. Se refusant  à dissocier l’art de la vie, ni de l’amour la connaissance, elle est action,  L’amour est son foyer, l’insoumission sa loi et son lieu est partout, dans l’anticipation ». (Saint-John Perse- Discours  Prix Nobel)

 

 Oui, nos chants sont témoignage, au-delà de toute colère, d’amour. Si nos genoux devaient  fléchir de fatigue, notre marche n’en sera point entravée, chacun la poursuivant au-dedans de soi.

 À ceux qui voudraient nous empêcher de chanter, à leurs aboiements, nous opposerons  le silence hauturier de l’humble aède à qui le bourreau  a arraché la langue !

 

 Les soleils ont séché le sang des murailles, les vents emportent  les cris des vaincus et des vainqueurs.

 Nous voici encore sur ce promontoire où battent les ailes des anges, parmi les arbousiers,  oliviers nains, lentisques et genévriers.

 Nous ne  voulons plus entendre les chants de la vengeance !

 Elevons, par- dessus les tombes, notre prière fortifiée d’iode et de sel marin.

 Que la corne  qui, de vallée en vallée, appelait nos ancêtres au combat, se métamorphose en colombe !

 Les vents se sont tus. Ecoutons vibrer l’archipel des îles dans le silence!

 Et mettons- nous en rond pour accueillir la voix incisive de la flûte du chevrier !

 Sa gaieté lointaine vient de derrière la montagne, peut-être de plus loin encore, du shofarot, trompe des Hébreux au son diamantin qui fit s’écrouler les murailles de Jéricho. 

 

 Nous marchons, aujourd’hui, les mains nues, armés de nos seuls chants, vers ces fantômes d’anthropophages, ces soldats assiégeants et assiégés se faisant une guerre sans merci.

 Ecoutons, à travers les siècles, amoncelés comme étoiles mortes, le piétinement sourd de ces foules, qui, capes lacérées, bras en croix, vont à Rome et à Jérusalem.

 Il y a ceux qui,  genoux en sang, pénates sommaires sur le dos, pérégrinent sur le chemin de Saint Jacques. Fourbus, ils quémandent un visa pour l’éternité.

 La lumière de l’aube, au terme du voyage, souffle les feux de campements de la dernière nuit. Le champ des étoiles s’éteint.

 Il y aussi ceux qui accompagnent au désert du  Sinaï  le peuple de la Bible  et lisent dans les astres le nom du Seigneur.

 

 Ils marchent  et, par-delà le temps, leurs chemins se croisent, rivières nourrissant le grand fleuve du désir d’éternité !

 Les corps  se couvrent de croûtes.

 La guenille reconquiert l’âme.

 Le pèlerin dans sa sueur fait peau neuve.

 Un chemin s’est ouvert à l’intérieur de soi.

 Une voix nouvelle sourd comme une source.

 

 Pourtant comment oublier les voix étouffées, celle de Marianne Cohn, fusillée le 8 juillet 1944 à l’âge de 24 ans ?

 

 Je trahirai demain, pas aujourd’hui

 

 Aujourd’hui, arrachez-moi les ongles,

 Je ne trahirai pas

 

 Il  me faut la nuit pour me résoudre

 Il ne me faut pas moins d’une nuit

 Pour renier, pour abjurer, pour trahir.

 

 Pour renier mes amis,

 Pour trahir la vie,

 Pour mourir.

 Je trahirai demain, pas aujourd’hui.

 La lime est sous le carreau,

 La lime n’est pas pour le barreau

 La lime n’est pas pour le bourreau.

 La lime est pour mon poignet.

 

 Aujourd’hui, je n’ai rien à dire

 Je trahirai demain.

 

 Comment refouler les voix fusillées des poètes de la Commune jetés à la fosse de l’oubli ?

 Jean-Baptiste Clément, Gaston Crémieux, Clovis Hugues, Louise Michel, Jules Vallès.

 Les Versaillais ont brûlé les Evangiles rouges et noirs de la Révolution.

 

 Comment oublier ?

 

 Renonçant à la vaine gloire du poète couronné,  nous prendrons, s’il y a lieu, la  place des fusillés  au carré des suppliciés anonymes.

 

 Au fond de nos mémoires, s’élevant au-dessus des fumiers et des marais de toute abjection, ont retenti les voix des poètes, Honneur des hommes !

 Nous n’avons plus de haine.

 L’ange des remparts ne nous lâche pas

 

 Avec Aimé Césaire, entonnons  les chants du Cahier d’un retour au pays natal :

 

 Alleluia

 Kyrie Eleison… leison…leison

 Christe Eleison… leison…leison !

 

(Marie-Jean Vinciguerra, 28 Septembre 2013)

 



Bruno Doucey

Bruno Doucey

Murielle Szac, Mercédes Deambrosis , Elsa Solal

Alain di Meglio

Mychele Lecca, Racines du Ciel

Daniel Beretta

Paul de Brancion



Cecce Ferrara & Norbert Paganelli

Elsa Solal





Cecce Ferrara

Luis Alberto de Cuenca

Luis Alberto de Cuenca

Alicia Marino Espuelas

Sylvie Biaggioni







Salah al Hamdani &

Yves Thomas

Stefanu Cesari

Salah al Hamdani

Salah al Hamdani





Yves Thomas



Antonia Angeli

Luis Alberto de Cuenca

JUNTOS

Hombres y mujeres fuertes y tranquilos,
a quienes la noche premia con el sueño.
Hombres y mujeres con brío en las venas,
pureza en las mentes y luz en los ojos.
Nobles corazones a los que seguir
por las avenidas del humo y la gloria;
con los que cantar por las amarillas
baldosas del mito, camino de Oz;
con los que viajar por la realidad,
mucho más fantástica que la fantasía;
con los que luchar por las sendas de oro
teñidas de sangre de la patria eterna;
con los que morir dando un paso al frente,
sin mirar atrás, sabiendo que el mundo
gira siempre en vano, sin saber qué hacer
con tanta amargura, tanta soledad.

LUIS ALBERTO DE CUENCA
(del libro El reino blanco)
ENSEMBLE

Des hommes et aussi des femmes forts, tranquilles,
que la nuit récompense en les faisant rêver.
Des hommes et aussi des femmes au sang digne,
pureté dans l’esprit, lumière dans les yeux.
Des nobles coeurs qu’on suit volontiers tout au long
des flux de la fumée et de la renommée;
complices de chansons sur les carreaux jaunis
du mythe qui tout droit fait son chemin vers Oz;
compagnons de voyage au fin fonds du réel
plus fantastique encor que toute fantaisie;
camarades de lutte ouvrant des sentiers d’or
empreignés dans le sang de l’éternell’ patrie;
et copains qui, toujours un pas en avant, meurent
sans point se retourner, sachant bien que le monde
tourne toujours en vain, mais sans savoir quoi faire
d’une telle amertume et telle solitude.

LUIS ALBERTO DE CUENCA
(du recueil Le royaume blanc)


Ysabelle Lacamp & Angèle Paoli

La mesure, l’infini 

A Juan Frutos

Voilà que tu traces le signe de la mesure  
toujours supérieure
à celle que nous calculons d’avance,
de la vie à la mort,
variable le don
qu’aucune promesse ne peut tenir.
Le temps brûle, et l’homme
qui entre ou sort dévoré par deux langues
de feu déborde.

Voilà que tu dessines le nombre
sans nombre, l’infini
toi et moi ne savons lui donner un nom.
Nous naissons en France, au Mexique ou en Chine,
ici ou ailleurs
le visage, la cendre,
même destin sans bornes,
chaque âme est en liberté,
chaque corps mendie sa place.

L’enfant est d’abord un dieu,
du soleil son regard capte
ce qui nous aveugle,
et voyant
il nous tire à la lumière,
nous croyons que c’est pour toujours.

Voilà que tu joues au rassembleur d’atomes,
qui d’entre nous n’a pas essayé
de trouver l’étincelle,
n’a pas voulu arpenter l’inconnu,
à commencer par le territoire natal
quitté dès la première minute ?
Rare l’espace, noir le temps,
dans l’asphyxie
peut-être ne cherchons-nous que la respiration.
De jour en jour derrière la mort
et devant,
le souffle est la mesure de notre grandeur.

Mille cinq cents kilomètres
multipliés par quatre ou cinq ne sont rien,
l’Orient, l’Occident, les Alpes,
les hauts plateaux de Mexico ou de l’Himalaya
que tu relies au fil de la traversée
sont trop proches.
Remonter les mers, s’envoler,
descendre au creuset de la terre,
gagner l’île ne suffisent pas pour le lointain.

[Voilà que je comprends la mesure supérieure,
le corps glorieux
son étoile est l’infini.
Nous ne savons pas soigner le fini
et ses veines font hématomes.
Sur la peau de l’histoire
les guerres s’allument l’une après l’autre
saut de puces
Afghanistan, Irak, Lybie, Syrie, Egypte,
pas de géants,
le mal prend le masque du bien
Les états sont unis dans le désordre de la force.
Nos cervelles bayent aux milliers de corneilles,
en terrorisme cacophonique
la planète frissonne.
Les extrémistes pendent  le fascisme au bout des mots
et des actes
l’Europe rougit à peine mais
voyelles et consonnes ont déjà dressé les potences.

Voilà qu’avec toi j’é-crierai l’indécence
des affaires publiques et privées
où les consciences avec les pays sont violés.
La vie est longue, et le nombre
- humains en attente - infini.
Les lignes se perdent sur ton collage journalistique,
assassins et victimes habitent la mémoire du lieu
à Buenos-Aires, l’école mécanique de l’armée
dont tout s’apprend :
crime, rafles, tortures, détention,
le serpico enlevait aux enfants parents et poupées.

Les hommes sont vieux de barbarie
ils n’aiment pas les mains des femmes
mais les coups de pied des fanatiques,
les idées sales et les danses réactionnaires
ils mènent le bal
des intégrismes et des convertis
au libre-échange, au vitriol et à la haine.
De guerres saintes en soi-disant libérations,
l’homme distribue les plaisirs et,
saison après saison, les radicalise.

Voilà que je cherche porte et fenêtres
l’enfant là-bas, l’enfant là,
les violons tsiganes, un vers de Lao-tse,
la bougie n’est pas faite de vide
elle n’est que flamme,
la voix qui parle au fond de nous n’oublie pas.

Voilà que tu te demandes où est ta place,
dans le désordre du paysage
tu te cognes à la douleur,
sa mesure est toujours supérieure,
douleur soumise à la douleur,
encore l’amour
et la mort qui l’éclabousse.
Les rêves prennent l’eau, les mères pleurent
en se penchant sur le livre des sagesses.

La croissance ne porte pas bonheur
- richesse monétaire, sexuelle, technique,
ses chiffres nous éblouissent à mort.
Cent millions d’oiseaux assommés
par la fée électricité et pas moins de papillons
qui disparaissent,
notre espèce est noctambule.
Piège, le monde en expansion,
nos villes perdent la tête dans l’orage,
nos paroles sont des volcans éteints.]

Voilà que nous remontons la pendule
des âges et des incarnations,
l’aiguille ne s’arrête pas toujours à l’heure.
Du Nord au Sud, selon la couverture du temps
l’ombre gagne à une vitesse
qui surpasse celle de la lumière.

Voilà que nous plaçons nos corps en silence
- les vautours guettent -
pour implorer la  beauté ou la délivrance.
Les vivants sont capables de contaminer
la terre, l’eau, l’air et le feu
quand ils pensent vivre pour rien ou pour quelque chose,
comment assouvir leur désir, comment apaiser la mort ?
Les dieux tournent, et les rites,
l’être assure seul les sacrifices.
Arbre écorcé, cou plumé, gorge tranchée,
le tribut à payer est variable mais toujours
plus insensé qu’on ne pourrait l’imaginer.

Voilà que tu cherches les mots qui manquent
où va l’âme quand le corps s’en va ?
où est l’âme de l’enfant ?
Voilà qu’avec toi je prends la mesure de la quête
encore et toujours supérieure,
l’infini.

(Sylvie Fabre) lu par Angélé Paoli et Ysabelle Lacamp


Marie-Jean Vinciguerra

Luis Alberto de Cuenca

Sylvie Biaggioni

Michèle Ettori

Jeremi

Salah al Hamdani

Norbert Paganelli

Salah al Hamdani

Salah al Hamdani

Salah al Hamdani

Bruno Doucey

Bruno Doucey

Stefanu Cesari

Stefanu Cesari

Stefanu Cesari

Michèle Ettori

Yves Thomas

Lieu païen

Toujours ton ami d’Orient revient à l’automne
Son turban répand sur toi sa verdure
avant qu’il ne reparte par le chemin des pierres
et des pluies légères

Les gens ne savent pas comment est venu l’étranger
ils ont inventé pour lui une stèle
et des cérémonies avec bannières
le figuier fait une ombre sur son puits
on parle des tempêtes soumises au pouvoir de ses mains
jusqu’à l’extrême sud

Qui es-tu en ton exil
Qui t’a mis visage face au portail de la mer
pour examiner le silence

Une mer te conduit en rêve où tu te vois
spectre de mes voix anciennes
Une fois je suis venu
au-devant des vaisseaux portant mon soleil
et j’ai le lustre des soupçons

Qui es-tu mon arc
ta détente galope sur une dune vêtue de mon chant
Visage et eau
se font face une seconde dans la mort
puis le désir les unit

(Mohammed Bennis, Lieu païen, L’Amourier,
Collection Poésie, 2013, pp. 28-29.
Traduction de l’arabe par Bernard Noël en collaboration avec l’auteur,
lu par Yves Thomas)


Norbert Paganelli

Jean-Paul Angeli

Jean-Paul Angeli

Jean-Paul Angeli

Ysabelle Lacamp

Stefanu Cesari & Cecce Ferrara

Poèmes de Francescu Ferrara, tirés de 

«  A Fanga è L’Oru »,

«  La Fange et l’Or »

Traduction française de Marie-Michelle Léandri, éditions le Bord de L’eau


Oliu è morca

Terra persa
Trà nivuli è sirenu
ùn voli senta i pienti,
I lagni di a to ghjenti
À l’orlu di u dismenu
Terra persa…
Ti aviani numata a più bedda di tutti
È po’ si sò canzati
Tanti si sò firmati
È li piacia tandu ad’ accodda i to frutti
Parechji lingui quì ani porsu u so fiatu
Spezii di u livanti
cun l’aspru di li canti
Lachendu gusti dolci à l’amaru mischjatu
U to senzu di l’altru ti hà mantinuta arritta
Contru à li praputenza
Ai fattu viulenza
Ci n’hè statu millai à lacacci a vita
Omini mintuati quiddi d’i più rintesi
T’ani ancu cittata
È sempri rispittata
Di pettu à li putenti, piddendu i to pratesi
 Oghji ùn si sà più ciò chì tu raprisenti
Se locu à visità
Senza troppu circà
Ci ferma l’illusioni d’issu stranu prisenti
Cambiati sò i staghjoni ùn sò quiddi di prima
Hè ora di bughjura
È di gnurenza scura
l’oliu hà presu fondu, lachendu a morca in cima

(Cecce Ferrara)

L’huile et le lut

Terre perdue
Ballottée entre tempête et accalmie
Tu ne veux plus entendre
Les plaintes de ton peuple
À l’orée du gouffre
Terre en déshérence
Ils t’avaient surnommée Kallisté
Certains t’ont juste effleurée
D’autres se sont enracinés
Se nourrissant de ta fertilité
Que de langues ici ont porté leur esprit
Épices d’orient
Unies à l’âpreté des chants
Mêlant l’or de ton miel aux embruns de la mer
Ton respect de l’autre t’a préservée du temps
Tu as toujours lutté
Contre les tout puissants
Des milliers de tes fils y ont versé leur sang
Les plus grands philosophes
T’ont citée en exemple
Face à tes oppresseurs
Ils ont pris ton parti
On oublie aujourd’hui ce que tu fus jadis
On vient te visiter
Sans chercher à comprendre
Ce siècle virtuel nous remplit d’illusion
Les saisons ont changé
En cette sombre époque
L’ignorance gouverne
L’huile a gagné le fond et lut la surface

À pighjò

Un si vedi chè freccia in li visi è li passi
A spiccera si campa senza vulè firmassi
U soldu avia un tempu di paura è fracassi

Par tanti a runchera hè cantu prifiritu
E basta a suvitalli par essa rivaritu
Cambià di miludia saria un dilitu

Semu à pighjò
Nantu à sta tarra
Ma quali a sà ?
Una prighjò
Cinta di farra
Volini fà…

Ma u mondu firmarà à quiddu chì l’hà fattu
È u calciu vultarà à quiddu chì l’hà datu

Cunnoscia di li media tutti l’infurmazioni
Par pudè imprudalli in a cunvertazioni
Essa ricunnisciutu à mezu à i « sapiintoni »

Vestasi com’è tutti, pinsà d’una manera
Ch’ùn dispiaci à nisunu, ni semu à « Sicut Era’ »
Aspittendu u so tornu com’u porcu à a tumbera

Un parlà più di sè, di ciò chì ci cummovi
O chì ci faci pienghja, ma di sughjetti novi
Di a moda chì corri, d’un artistu li provi

Cultura pocu è micca, umanità listessa
Pratinzioni è urgogliu, imbuffassi par essa
U sameri ùn pò stà senza la so cavezza

Semu à pighjò
Nantu à sta tarra
Ma tu a sà
D’issa prighjò
Taddemu i farra
Par sunnià…
E u mondu firmarà à quiddu chì l’hà fattu
L’amori fiurisciarà par quiddu chì l’hà spartu

(Cecce Ferrara)
Locataires

Il n’y a qu’avidité dans les visages et les vies
Dans ce train d’enfer fonçant avec frénésie
L’argent règne présageant un temps de folie

Pour beaucoup le braiement est seule litanie
Et pour être estimé de les suivre il suffit
Changer de mélodie est alors un délit

Nous sommes locataires
Sur cette terre
Mais qui le sait ?
Une prison bardée de fer
Ils nous ont fait


Le monde reviendra à qui l’a créé
Et l’offenseur deviendra un jour l’offensé

Des médias il faudrait suivre l’information
En émailler le cours de la conversation
Et n’avoir que le « net » pour toute érudition

Il faut être tendance, penser comme tout le monde
Ce n’est que le début d’un nivelage immonde
Attendant notre tour pour aller vers la tombe

Ne plus parler de soi et de ce qui nous touche
Qui nous émeut aux larmes, mais de frivolités
De la mode qui court, des frasques d’un artiste

Avoir peu de culture et peu d’humanité
Beaucoup de prétention, d’égo, de vanité
Je possède donc je suis voilà leur vérité

Nous sommes locataires
Sur cette terre
Et tu le sais
Brisons les fers
De cette prison
Pour rêver
Le monde restera à celui qui l’a créé
L’amour fleurira pour celui qui l’a semé




Stefanu Cesari & Cecce Ferrara

Oil and dregs   

Land lost
Between clouds and fair weather
You don’t want to hear
Your people wail and moan
On the verge of blackout
Lost land...
They had named you Kalliste, the Most Beautiful
Some stopped
So many stayed
And they enjoyed picking your fruit
So many languages have shed their spirit here
Spices from the East
Hoarse songs
Leaving a bittersweet taste
Your welcoming heart has kept you upright
Against arrogant empires
You fought back
And thousands lost their lives
Men of great fame
Have acknowledged you
And respected you
Taking your side against the mighty
Today you’ve lost the sense of who you are
You’re just a must-see
A place to be
And we are left with the illusions of this strange present
Your seasons have changed they are not as they were
These are times of darkness
And sheer ignorance
The oil has fallen and the dregs are rising.

(Cecce Ferrara)


Alain di Meglio

Poème ALANU

Tu cries du bout du monde
comme s’il y avait des bouts de monde
Tu crois que ta voix porte
depuis les quelques centimètres carrés de toundra méditerranéenne
entre deux coussins d’épines
où tu te tiens
Tu cries
Tu comptes sur le vent
comme si on pouvait compter sur le vent
Tu vois l’horizon et tu te crois loin
Seules quelques brumes chaudes
suffisent parfois à l’osmose des lignes
par le silence en écho
Tu ne vois aucun mur
comme si les murs n’existaient pas
Tu mises sur le mirage des continents
à portée de voix
Comme si parce que l’île il y avait des continents
Dans la lumière oblique de la belle saison du soir un peu plus tôt
la seule qui t’éclaire sans te brûler
un vol de ramiers te rassure

(Alain di Meglio)


Alain di Meglio & Daniel Beretta



Stefanu Cesari & Paul de Brancion

 Qui s’oppose à
L’Angkar
est un cadavre


Paul de Brancion


ANGKAR

J’espère ne jamais savoir d’expérience
ne jamais vivre cela
        
ni mes enfants
         ni mes semblables

jamais

je demande pardon à ceux qui liront
ce titre et qui ont eu à souffrir des Kmers rouges

« L’Angkar ne dit rien, ne parle pas »
mais elle a des yeux et des
oreilles partout »

« qui proteste est un ennemi
qui s’oppose est un cadavre »

regretté
le toucher de ton corps.


Etre comme un mécanisme
d’automutilation

l’alternative demeure entre la mort ou la trahison
immense solitude
  peur incontrôlée

Délibérez du mal
  de l’angoisse
survenue en tapinois

le monde s’amenuise, enserre
grotesque parodie de la vérité
  être l’otage de rien
                     de connu
sans jamais comprendre

Il fait noir
    à côté
        sans relâche


Différences de vert
dans l’immensité des rizières
     le riz
pousse vite

on ne le repique plus
on sème à la volée
dans les champs élargis

Le blanc se mêle au vert
l’eau noire du puits semble saumâtre
n’a pas la fraîcheur espérée


Nuit de fumées
        de feuilles de palmiers au tronc lisse
pour quelque fruit vert
aux couleurs de dragon

de légers nuages
         déversent des trombes d’eau
sur une terre rouge
gorgée d’immondices


Cette folie
                     naïve
a débouché sur l’appel à la délation

         qu’y a-t-il de plus flou que le langage


Le coq chante
          dès avant l’aube
les moines de la pagode
psalmodient


un bruit de moto
de chiens

matin frais laiteux
les grillons se taisent enfin.


Tu ne dois pas
considérer que ton corps
t’appartient
ni même qu’il est soumis à ton esprit

tu dépends uniquement
de celui qui a décidé
et son jeu seul
         importe.

(Paul de Brancion)

L'AUTEUR
Paul de Brancion a enseigné la philologie romane et la littérature. Rédacteur en chef de la revue Sarrazine, il est l'auteur de plusieurs romans, dont Le château des étoiles : étrange histoire de Tycho Brahé (Phébus, 2005) et de recueils poétiques : Vent contraire (Dumerchez, 2003), Le Marcheur de l'oubli (Lanskine, 2006), Tu-rare (Lanskine, 2008), Ma Mor est morte (Bruno Doucey, 2011) et Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre (Lanskine, 2013). Il s’implique régulièrement dans des projets artistiques transversaux, notamment avec des compositeurs de musique contemporaine (Thierry Pécou, Jean-Louis Petit, Gilles Cagnard, Nicolas Prost…) Il partage son temps entre Paris, la Corse et Nantes où il organise un Festival  Les Rendez-vous du Bois-Chevalier consacrées à la littérature, les sciences et à la poésie.





Helmut

Rolf-Dieter Brinkmann live in Cambridge 1975:  Audio

Ein Gedicht

Hier steht ein Gedicht ohne einen Helden.
In diesem Gedicht gibt‘s keine Bäume. Kein Zimmer
zum Hineingehen und Schlafen ist hier in dem
Gedicht. Keine Farbe kannst du in diesem

Gedicht hier sehen. Keine Gefühle sind
in dem Gedicht. Nichts ist in diesem Gedicht
hier zum Anfassen. Es gibt keine Gerüche hier in
diesem Gedicht. Keiner braucht über einen Zaun

oder über eine Mauer in diesem Gedicht zu klettern.
Es gibt in diesem Gedicht hier nichts zu fühlen.
Das Gedicht hier kannst du nicht überziehen.
Es ist nicht aus Gummi. Kein weißer Schatten

ist in dem Gedicht hier. Kein Mensch kommt
hier in diesem Gedicht von einer Reise zurück.
Kein Mensch kommt in diesem Gedicht hier atemlos
die Treppe herauf. Das Gedicht hier macht keine

Versprechungen. In dem Gedicht stirbt auch keiner.
In diesem Gedicht spürst du keinen Hauch. Es gibt
keinen Laut der Freude in dem Gedicht hier. Kein
Mensch ist In. dem Gedicht hier verzweifelt. Hier

in dem Gedicht ist es ganz still. Niemand
klagt in diesem Gedicht. Niemand redet hier
in dem Gedicht. Hier in diesem Gedicht schlagen
sich auch keine Arbeiter wund. Das Gedicht hier

steht einfach nur hier. Es enthält keine Schlüssel
zum Aufschließen von Türen. Es gibt keine Türen
in diesem Gedicht. Das Gedicht hier ist ohne
Musik. Es singt keiner in diesem Gedicht, und

keiner macht hier in diesem Gedicht jemanden
nach. Keiner schreit hier in dem Gedicht, flucht,
fickt, ißt und nimmt ein Rauschmittel. Es gibt in
diesem Gedicht keine bombastische Ausstattung

für dich. Das .Gedicht hier geht nicht, liegt nicht,
schläft nicht, es kennt keinen Tag, es kennt keine
Nacht. Du brauchst hier in diesem Gedicht keine
Rechnungen zu bezahlen. Es gibt keinen Hausbesitzer

in dem Gedicht hier, der die Miete erhöht. Es gibt
keine Firmen in diesem Gedicht. Es gibt in dem
Gedicht keinen Staat Kalifornien. Es gibt kein
Oregano in dem Gedicht. In diesem Gedicht gibt‘s

kein Meer. Du kannst in dem Gedicht hier nicht
schwimmen. Das Gedicht, das hier steht, enthält keine
Wärme, das Gedicht enthält keine Kälte. Das Gedicht
hier ist nicht schwarz, es hat keine Fenster und

kennt keine Angst. Das Gedicht hier zittert
nicht. Das Gedicht hier ist ohne Spiegel. In diesem
Gedicht gibt‘s auch kein Spiegelei. Einen Supermarkt
gibt es hier in diesem Gedicht nicht. Das Gedicht,

das du hier liest, hat keine Titten und keine Fotze,
das Gedicht hier ist völlig körperlos. Keiner stöhnt
hier in dem Gedicht. Das Gedicht blutet nicht, es
verschweigt nichts, das Gedicht hat keine Regel,

das Gedicht ist kein Zitat, für keinen. Hier in
diesem Gedicht findet niemand einen Pfennig,
und hier in diesem Gedicht fährt kein Mensch mit
einem Auto. Keine Reifen quietschen um die Ecke.

In diesem Gedicht lutscht niemand zärtlich an
einem Schwanz. Es gibt hier in dem Gedicht keine
Lampen. Das Gedicht ist kein gelber Schal. Das
Gedicht, auf das du .hier schaust, hustet nicht.

Hier in dem Gedicht kannst du nicht küssen.
Hier in diesem Gedicht wird auch nicht gepißt. Du
kannst mit diesem Gedicht nichts anfangen. Das
Gedicht besteht aus lauter Verneinungen. Die

Verneinungen in diesem Gedicht werden immer mehr.
Hier gibt‘s keinen Kiff in dem Gedicht. In diesem
Gedicht lacht kein Mensch. Das Gedicht kennt keine
Arbeit. Niemand sieht in diesem Gedicht Fernsehen.

Das Gedicht trägt keine Uhr. Das Gedicht ist nicht
zeitlos, Es braucht so viel Zeit, wie du brauchst,
um das Gedicht hier zu lesen. Kein Wasserhahn
tropft in dem Gedicht hier, und keiner verlangt

in dem Gedicht hier nach Zigaretten. Hier das
Gedicht gibt kein Trinkgeld. Keine Toilette ist
hier in dem Gedicht. Es gibt keine Stadt in diesem
Gedicht. Hier in dem Gedicht wäscht keiner sich die

Füße. In die Schule zu gehen, ist hier in dem Gedicht
nicht nötig. In dem Gedicht leckt auch keiner eine
Möse. Dein Geschlechtsteil richtet sich hier in
dem Gedicht nicht auf. Du kannst hier in dem Gedicht

dich nicht hinsetzen und denken. Das Gedicht hier
ist nicht der Staat. Es ist nicht die Gesellschaft.
Es ist kein Flipperautomat. Das Gedicht hier hat
keinen Hund. Mit diesem Gedicht kann sich keiner

identifizieren. Keine Polizisten fahren in diesem
Gedicht herum und suchen nach einem Bruch. Eine Kuh
liegt hier in diesem Gedicht nicht. Das Gedicht hier
ist nicht gedankenlos. Das Gedicht hier ist nicht

gedankenvoll. In dem Gedicht erscheint auch kein
Sommertag. Es ist niemals Dienstag in diesem Gedicht,
es gibt keinen Mittwoch. in diesem Gedicht, es herrscht
nicht Freitag in diesem Gedicht und kein Donnerstag

fehlt in dem Gedicht hier. Es ist nicht Montag,
Samstag und Sonntag in hier dem Gedicht. Das Gedicht
hier ist nicht die Verneinung von Montag oder
Donnerstag. Das Gedicht hört hier einfach auf.

(Rolf Dieter Brinkmann)

Un poème

Ceci est un poème sans héros.
Dans ce poème, aucun arbre. Pas de passage
pour entrer ou de pièce pour dormir.
Tu ne trouveras aucune couleur

dans ce poème. Aucun sentiment non plus
dans ce poème. Rien à toucher,
pas d’odeur dans ce poème. Personne n'a besoin
de sauter de clôture

ou de franchir un mur dans ce poème.
Dans ce poème, rien à sentir.
Tu ne peux pas te protéger avec ce poème.
Ce n'est pas du caoutchouc. Aucune ombre blanche

ne jaillit de ce poème. Personne ne
rentre de voyage dans ce poème,
Personne ne grimpe l’escalier
essoufflé dans ce poème. Ce poème ne promet rien à

personne. Dans ce poème, personne ne meurt aussi.
Dans ce poème, aucun souffle, aucune haleine.
Aucun son joyeux.
Aucun être au désespoir. Dans ce poème,

tout est silence. Personne ne se plaint
dans ce poème. Personne ne parle.
Dans ce poème, aucun ouvrier aussi
ne se bat à mort. Ce poème

n’est simplement écrit qu’ici. Ici, dans ce poème, 
pas de clé pour ouvrir les portes. Aucune porte
dans ce poème. Aucune musique.
Personne ne chante dans ce poème et

personne n'imite personne dans ce poème.
Personne ne crie dans ce poème, ne jure,
ne baise,  ne mange, ne prend de stupéfiant. Il n'y a

pas de cinq étoiles pour toi dans ce poème.

Ce poème ne marche pas, ne se repose pas,
ne dort pas, ne connaît ni le jour
ni la nuit, tu n’as pas besoin de payer tes factures
dans ce poème. Pas plus de proprio

pour augmenter ton loyer.  Il n’y a
aucune société dans ce poème. Pas d’ Etat
de Californie. Il n'y a  pas
d’orégan dans ce poème. Dans ce poème

pas même de mer. Tu ne peux nager
dans ce poème. Ce poème ne contient
ni humain, ni chaleur, ni froid. Ce poème ne
connaît pas le noir, il n’a pas de fenêtre et

ne connaît pas la peur. Ce  poème ne tremble pas. 
On n’y trouve aucun miroir. Dans ce poème,
pas d’œuf sur le plat.
Pas de supermarché.

Pas de nichons ni de chatte. Dans ce poème,
pas de corps. Personne ne gémit
dans ce poème, personne ne saigne. Ce poème ne tait

rien. Ce poème n’obéit à aucune règle.

Ce poème ne servira de citation à personne. Ici
dans ce poème, personne ne trouvera un sou.
Personne ne roule en voiture.
Aucun pneu ne crisse au carrefour.

Dans ce poème, personne ne suce
de queue. Il n'y a pas de
lampes dans ce poème. Dans ce poème, pas d’écharpe

jaune. Ce poème que tu entends, ne tousse pas.

Ici dans ce poème, personne ne s’embrasse.
On ne pisse pas dans ce poème.
On n’y fout rien.
On ne sait que dire NON.

Il y a de plus en plus de NON dans ce poème.
On ne fume pas de kiff dans ce poème. On ne s’y
moque de personne. Personne ne travaille.
Personne ne regarde la télé dans ce poème.

Ce poème ne porte pas de montre. Ce poème n’est pas
sans âge. Ce poème dure juste ce qu’il faut .
pour qu’on le lise. Pas de robinet
qui goutte dans ce poème. Personne n’y

réclame de clopes. Ce poème ne laisse
pas de pourboire. Pas de chiottes
dans ce poème. Pas de ville
dans ce Poème. Ici dans ce poème,

on ne se lave pas les pieds. Il n’est pas nécessaire
d’aller à l’école dans ce poème. On ne lèche pas de
chatte dans ce poème. Aucun sexe n’a la trique
dans ce poème. Dans ce poème, tu ne t’assieds

pas pour méditer. Ce poème
n'est pas l'Etat. Ce poème n'est pas la société.
Pas de flipper dans ce poème.
Pas de clebs. Personne ne peut s’identifier

à ce poème. Dans ce poème, pas de flic
faisant sa ronde et cherchant un casse.
Pas une vache. Ce poème n’est pas
sans réflexion, ce poème n’est pas non plus

plein de réflexion. Dans ce poème, pas non plus
de jour d’été. On n’est jamais mardi dans ce poème, 
pas de mercredi dans ce poème. On n’est jamais
vendredi dans ce poème, et il ne manque

aucun jeudi dans ce poème. On n’est pas lundi,
ni samedi, ni dimanche dans ce poème. Ce poème ci
n’est pas la négation du lundi ou
du jeudi. Ce poème cesse ici tout simplement.

(Rolf Dieter Brinkmann, traduit par Ysabelle Lacamp et Helmut Schneeberger)


Ysabelle Lacamp lisant Brinkmann

Ysabelle Lacamp lisant Brinkmann Ysabelle Lacamp lisant Brinkmann

Ysabelle Lacamp lisant Brinkmann

Ysabelle Lacamp lisant Brinkmann

Mercédes Deambrosis

Murielle Szac

Marie-Jean Vinciguerra

Ysabelle & Bruno